Comme le lait sur le feu...

J'ai failli perdre un fils vendredi dernier.
Oui je te dis ça comme ça de but en blanc, parce que ça m'a fait un choc. Parce qu'on se dit que ça n'arrive qu'aux autres. Parce qu'on croit qu'il est juste à coté de nous...et puis non.

Vendredi, nous étions 4 adultes en parfait état de fonctionnement, et nous avons tous failli à notre rôle.
Mon petit Ninulf, qui marche depuis un petit mois est systématiquement attiré par la route, il marche normalement et dès qu'il aperçoit un bout de route, il se met à courir vers elle.
Mais vendredi, la porte était ouverte et nous avions tous le regard tourné vers autre chose, nous ne regardions pas la route, nous ne regardions pas la porte.
Pendant 20 secondes, maximum...
Pendant ces 20 petites secondes, Ninulf a traversé la route.

Certes on vit à la campagne mais c'est quand même une route très passante (avec deux vraies voies, pas un chemin).
Il a sûrement foncé vers l'autre côté sans se soucier de ce qu'il se passait autour, normal.

Il est où?

Je regarde dehors, je vois une voiture arrêtée sur la route, un homme en sort. Je suis dans un état de panique insondable. Je ne vois que cette voiture noire, j'avance à toute vitesse mais pourtant j'ai l'impression de ne pas bouger. J'imagine déjà trouver son petit corps allongé sur la chaussée.

Non.
Il est là, debout, de l'autre côté de la route, sur le trottoir, il me regarde en souriant.
Je cours l'attraper et le serre fort, le monsieur remonte dans sa voiture en me disant "Attention, c'est dangereux", d'un air désolé.
Je lui dis "Merci", et je ne sais pas vraiment pourquoi, merci de ne pas avoir écrasé mon fils? Pff...
Je donne tous les droits à cet homme de me juger, et de raconter cette histoire en rentrant chez lui, en disant "Non mais les gens, ils font pas gaffe, ça craint".
Il a le droit parce qu'il a raison, et si j'avais été à sa place, j'aurais jugé aussi.

20 secondes.
20 secondes pendant lesquelles tout aurait pu se passer. Sur le trottoir devant la porte, un enfant de cette taille arrive sur la route comme sorti de nulle part, à cause de plantes et buissons qui ornent la bordure de route. Si une voiture arrivait au moment où il se lançait sur la route, c'était fini. Et si...et si...
J'en ai passé des "et si..." dans ma tête, j'en ai imaginé des scénarios sordides...
Et maintenant je dit heureusement, et j'ai honte de dire heureusement, après avoir oublié d'être vigilante.
Je sais bien qu'on ne peut pas être infaillible en tant que parent, c'est sûr, j'en suis loin, mais ça, brrr j'en ai froid dans le dos. Je n'arrive pas encore à réaliser comment j'ai (on a) pu faire une telle erreur.

Oui, 20 secondes suffisent pour prendre la vie de quelqu'un.
Non, ça n'arrive pas qu'aux autres.
Nous avons eu de la chance.
Comme le lait sur le feu... Les enfants sont comme le lait sur le feu, surtout si petits.
Je n'aime pas vraiment user (et abuser) d'expressions toutes faites, mais c'est quand on y est confronté qu'on réalise le bon sens de ces expressions.
Les premiers pas, les premières découvertes, les premiers dangers...et les erreurs des parents. D'autant plus quand plusieurs adultes sont présents, on se dit inconsciemment qu'il y aura toujours quelqu'un pour jeter un œil.
Non. Il ne faut pas quitter des yeux un enfant, si jeune, si avide de découvertes.

Je te dis ça, ce n'est pas qu'un conseil, d'ailleurs qui suis-je pour en donner? Moi, qui ai retrouvé mon fils de l'autre côté de la route. Non, c'est plutôt pour moi, ma thérapie, mon mea culpa, mon fardeau.
Vendredi dernier, j'ai failli perdre mon fils, et ça aurait été de ma faute.